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L’euro numérique : quel impact sur l’industrie des paiements et de la banque ?

Sep 05, 2023 - 8 min read
Aussi disponible en: English
Benoit Ghilain, Product Manager SBP at Sopra Banking Software
Mathis Dijols, Consultant - Payment Consulting BU at Galitt
  • Plus de 90% des banques centrales du monde entier ont exprimé leur engagement actif ou leur volonté future de se lancer dans des projets de monnaie numérique de banque centrale (MNBC).
  • L’euro numérique, s’il est introduit, servirait de devise numérique sans risque émise et gérée par la BCE, et il fonctionnerait comme une forme de monnaie numérique garantie par la BCE.
  • Il serait distribué à travers l’écosystème bancaire de détail, les banques commerciales ou les PISPs (prestataires de services de paiement), agissant en tant qu’intermédiaires et de la même manière qu’ils gèrent leurs distributeurs automatiques de billets et leurs guichets.
  • La BCE n’a pas encore décidé de lancer l’euro numérique et est toujours à l’étape d’investigation du projet. La date limite pour achever cette étape a été fixée à octobre 2023.

Sopra Banking Software a organisé un LinkedIn Live axé sur l’euro numérique de la Banque centrale européenne (BCE). Au cours du live, Anmol Sahib, responsable du marketing produit pour les paiements chez Sopra Banking Software, et Guillaume Yribarren, directeur général adjoint de Galitt, spécialiste des paiements, ont exploré l’impact potentiel de l’euro numérique sur l’industrie des paiements et de la banque.

Remarque : Cette discussion couvre un large éventail de sujets soumis à des variations fréquentes. Celle-ci porte sur des décisions prises avant avril 2023.

Pourquoi la BCE envisage-t-elle des MNBC ?

Au cours de la dernière décennie, diverses initiatives privées et décentralisées ont émergé dans le secteur financier, introduisant des “monnaies” alternatives indépendantes des institutions gouvernementales.

Cela a conduit à l’émergence de monnaies décentralisées : les crypto-actifs sont principalement représentés par le Bitcoin. Il est important de noter que bon nombre de ces crypto-actifs n’ont pas les caractéristiques des monnaies traditionnelles en raison de leur volatilité inhérente. Néanmoins, ils se frayent progressivement un chemin sur le marché des paiements.

Deuxièmement, des acteurs privés ont souhaité lancer leurs propres monnaies numériques. C’était le cas de Meta Platforms (avec son projet Libra, rebaptisé Diem) en 2019.

L’émergence de ces initiatives a incité les gouvernements à explorer des moyens de sauvegarder la stabilité monétaire de leurs pays ou groupes de pays respectifs. Initialement, ils ont répondu de manière défensive en promulguant des lois régissant ou interdisant les actifs numériques. Pour autant, ils ont adopté une approche opérationnelle active en se lançant dans les monnaies numériques de banque centrale (MNBC) en tant que mesure proactive.

Selon la Banque des Règlements Internationaux (BRI), plus de 90 % des banques centrales du monde entier ont exprimé leur engagement actif ou leur volonté future de se lancer dans des projets de MNBC.

Image : Selon la Banque des Règlements Internationaux (BRI), plus de 90 % des banques centrales du monde entier ont exprimé leur engagement actif ou leur volonté future de se lancer dans des projets de MNBC.

En Europe, la BCE a commencé à explorer la possibilité d’introduire un euro numérique en juillet 2021. Elle collabore par ailleurs avec d’autres banques centrales de la zone euro en réponse à la demande croissante des consommateurs pour des paiements électroniques fiables et un instrument de paiement numérique de banque centrale.

Qu’est-ce que l’euro numérique ?

En bref, une MNBC est une monnaie numérique émise par une banque centrale, une forme de monnaie numérique parmi d’autres. L’euro numérique, s’il est introduit, servirait de devise numérique sans risque, émise, gérée et garantie par la BCE.

Il diffère des stablecoins ; en effet, les deux sont numériques, mais une MNBC n’est pas garantie par une monnaie fiduciaire. Elle est elle-même une monnaie fiduciaire.

Remarque : L’impact exact de l’introduction de l’euro numérique sur l’offre monétaire reste inconnu.

Quelles motivations pour un euro numérique ?

Plusieurs facteurs motivent le développement et l’introduction d’un euro numérique. Ils comprennent une :

  • Inclusion financière : un euro numérique peut offrir un accès à des services de paiement numériques aux personnes actuellement mal desservies par les systèmes bancaires traditionnels, favorisant l’inclusion financière et réduisant la fracture numérique.
  • Efficacité des paiements : l’euro numérique a le potentiel de rationaliser et d’accélérer les processus de paiement, permettant des transactions plus rapides et plus efficaces pour les particuliers et les entreprises, tant au niveau national qu’international.
  • Sécurité et prévention des fraudes : en exploitant des technologies avancées telles que le chiffrement et des méthodes d’authentification sécurisées, un euro numérique peut renforcer la sécurité des transactions, réduisant ainsi les risques de fraude et de contrefaçon.
  • Souveraineté monétaire : l’introduction d’un euro numérique permet aux banques centrales de maintenir le contrôle sur leur devise et leur politique monétaire face à la numérisation croissante et à l’émergence d’actifs numériques ou de crypto-actifs privés.
  • Innovation et avancées technologiques : le développement de l’euro numérique encourage l’innovation dans le secteur financier, favorisant la croissance de nouvelles technologies et stimulant la transformation numérique.
  • Compétitivité : l’euro numérique peut renforcer la compétitivité de l’Union Européenne en offrant une méthode de paiement moderne, efficace et sécurisée qui correspond aux aspirations numériques des particuliers, des entreprises et de l’économie dans son ensemble.

Image : Facteurs qui motivent le développement et l'introduction d'un euro numérique

Sera-t-il basé sur la technologie DLT/blockchain ?

C’est une possibilité, car la BCE déclare qu’elle expérimente encore différentes approches et technologies concernant l’euro numérique. Cela inclut des solutions centralisées et décentralisées telles que la technologie des registres distribués (DLT).

Le principal défi des blockchains est de faciliter la collaboration entre des individus n’ayant pas de relation préexistante. Cependant, dans le cas de l’euro numérique, cet aspect de la technologie blockchain pourrait ne pas être applicable, car le fonctionnement de l’euro numérique est conçu pour fonctionner dans un cadre centralisé, impliquant des institutions de confiance telles que la Banque Centrale Européenne.

Cependant, l’infrastructure blockchain offre des solutions de “smart contracts” et d’interopérabilité, ce qui signifie qu’elle ne doit pas d’emblée être mise de côté.

“Pour autant que nous le sachions, le projet d’euro numérique n’est pas prévu pour être basé sur la blockchain, ce qui signifie que la Banque Centrale Européenne et le système de l’euro préparent certaines règles, certaines infrastructures et un cadre pour le déployer”, a déclaré Guillaume lors du LinkedIn Live.

Quelle distribution pour l’euro numérique ?

Il serait distribué à travers l’écosystème bancaire de détail, les banques commerciales ou les PISPs (prestataires de services de paiement), agissant en tant qu’intermédiaires et de la même manière qu’ils gèrent leurs distributeurs automatiques de billets et leurs guichets.

Le distributeur détiendra un compte auprès de la banque centrale au nom de ses clients et traitera toutes les transactions pour eux. La banque centrale supervisera et exploitera le mécanisme.

Du point de vue du client final, l’interface ressemblera à son expérience bancaire quotidienne, mais sa banque ne détiendra pas les fonds. Ces derniers seront censés être détenus par la banque centrale.

Remarque : Les intermédiaires seront également responsables du développement de services liés à l’euro numérique.

Quelles façons de l’utiliser ?

Une caractéristique essentielle de l’euro numérique est son objectif d’inclusion, garantissant l’accessibilité à tous les individus :

  • Il s’adresse à ceux qui n’ont pas accès aux services financiers, éliminant ainsi la nécessité d’un compte bancaire traditionnel.
  • Il prend en compte les personnes qui n’ont pas accès au numérique en facilitant les moyens de paiement tangibles, garantissant une participation indépendamment des limitations technologiques.
  • La mise en œuvre de l’euro numérique ne nécessite pas que les commerçants acquièrent de nouveaux instruments d’acceptation ou une infrastructure de paiement.
  • L’introduction de l’euro numérique vise à simplifier le processus de déploiement pour les banques, le rendant simple.

Pour répondre aux points mentionnés et faciliter l’utilisation de l’euro numérique, la BCE a proposé plusieurs solutions :

  • Création de compte basée sur l’identité : La BCE suggère de créer des comptes d’euro numérique pour les particuliers basés sur leur identité, permettant un accès facile et une utilisation de la monnaie numérique.
  • Utilisation de cartes intelligentes : Outre les portefeuilles d’euro numérique, la BCE propose d’utiliser des cartes intelligentes pour accéder et effectuer des transactions avec l’euro numérique. Cela offre une option physique supplémentaire aux particuliers pour utiliser la monnaie.
  • Compatibilité avec les instruments existants : L’acceptation de l’euro numérique sera conçue pour être compatible avec les instruments de paiement existants, garantissant une intégration transparente dans les systèmes et infrastructures de paiement actuels.
  • Kit de développement logiciel (SDK) : La BCE prévoit de proposer un SDK, permettant le développement de fonctionnalités liées à l’euro numérique au sein des applications bancaires et des portefeuilles numériques. Cela permet aux banques et aux développeurs d’intégrer des fonctionnalités liées à l’euro numérique dans leurs plateformes existantes. De plus, la BCE mettra à disposition un portefeuille numérique indépendant dédié à l’euro numérique.

Ces solutions proposées par la BCE visent à offrir des options accessibles et pratiques aux particuliers, aux commerçants et aux banques pour utiliser l’euro numérique de manière efficace.

Quelle limite de stockage dans un portefeuille ?

Des limites devront être fixées sur la valeur des euros numériques stockés dans les portefeuilles des utilisateurs, et ce afin d’éviter une fuite des dépôts et une crise bancaire. Actuellement, la BCE envisage une limite d’environ 1 000 euros. Si un seuil n’est pas établi, il y a deux risques pour la stabilité financière :

  • La survenance d’une panique bancaire qui pourrait entraîner l’effondrement des banques. 
  • Les difficultés d’accès au crédit en raison de la hausse des taux d’intérêt des banques commerciales en raison de la réduction des dépôts, ce qui limite leur capacité à offrir du crédit.

Quelle confidentialité lors de l’utilisation de l’euro numérique ?

Le sujet de la confidentialité est délicat car il s’agit d’une attente du public. Il est donc crucial de donner la priorité à la préservation de la confidentialité des utilisateurs à tout prix. De même, il est essentiel que l’euro numérique ne devienne pas un outil de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme.

Par conséquent, il ne peut offrir un quelconque anonymat (une option envisagée était la mise en place de seuils d’anonymat, le niveau 0 représentant un anonymat complet, mais la BCE n’a pas choisi cette approche). Actuellement, le plan prévoit que chaque utilisateur dispose d’un seul compte lié à son identité, la BCE n’ayant pas accès aux informations sur les transactions ni aux identités des participants aux transactions.

La BCE indique sur son site web que l’euro numérique permettra aux utilisateurs de réaliser des paiements sans partager leurs données avec des tiers, sauf celles strictement requises pour prévenir des activités illicites.

Bien que la BCE connaitra le montant d’euros numériques transmis lors d’une transaction, il ne sera pas possible de retracer précisément le comportement d’un individu, a déclaré Guillaume.

Quels avantages pour les parties prenantes ?

Pour garantir le succès de l’euro numérique, il doit exister une proposition de valeur convaincante pour le public. De même, les intermédiaires impliqués dans sa distribution devraient le trouver financièrement intéressant. Voici les considérations pour chaque partie prenante :

Intermédiaires :

  • Frais d’interchange : Les transactions réalisées avec l’euro numérique peuvent inclure des frais d’interchange, offrant ainsi une incitation financière au distributeur. 
  • Services supplémentaires : Des services innovants peuvent entraîner des frais.

Clients finaux :

  • Fonctionnalités améliorées : L’euro numérique devrait offrir des fonctionnalités qui le distinguent des autres méthodes de paiement, telles que des options de paiement conditionnelles et la possibilité de réaliser des transactions hors ligne. 
  • Efficacité : L’euro numérique devrait donner la priorité à la sécurité et à la rapidité, offrant ainsi aux clients finaux une expérience de paiement fluide et fiable.

L’utilisation de l’euro numérique nécessite-t-elle une connexion Internet ?

L’euro numérique fournira une fonctionnalité hors ligne similaire à l’argent liquide, permettant une utilisation sans connexion Internet. Pour cela, l’appareil devra disposer d’un portefeuille autonome et garantir la sécurité des transactions (en résolvant le problème de la double dépense).

Les appareils capables de fonctionner hors ligne devront intégrer un élément sécurisé avec une sécurité minimale. De plus, des rapprochements en ligne périodiques (fréquence à déterminer) seront effectués pour atténuer les problèmes de blanchiment d’argent et de suivi des transactions.

Quelle date d’introduction ?

Il est essentiel de souligner que la BCE n’a pas encore décidé de lancer l’euro numérique et se trouve encore à l’étape d’investigation du projet. La date limite pour achever cette étape a été fixée à octobre 2023.

Il est ensuite prévu que le Conseil des gouverneurs de la BCE décide ou non de passer à l’étape suivante du projet, qui comprendrait des tests et une éventuelle expérimentation en direct de l’euro numérique, ce qui pourrait prendre environ trois ans, selon la BCE.

Quelques tests en direct ont été réalisés fin 2022, avec des acteurs tels qu’Amazon sélectionnés pour effectuer des tests de résistance et des preuves de concept pour le cas d’utilisation du commerce électronique.

“Mais nous savons que cela prendra des années et des années – probablement au moins cinq ans avant peut-être d’avoir un euro numérique dans nos poches” a déclaré Guillaume.

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