En Afrique, continent leader des services bancaires mobiles, des millions de personnes non bancarisées ou sous-bancarisées ont recours aux portefeuilles numériques pour gérer leurs finances. Sur le continent africain, le décalage entre la pénétration des téléphones portables et l’inclusion financière a entraîné une croissance significative du marché des portefeuilles numériques, ceux-ci permettant à leurs utilisateurs de gérer leur argent sans qu’ils n’aient besoin d’avoir accès à un compte bancaire traditionnel. En effet, selon les chiffres de la Banque Mondiale, 54 % des adultes en Afrique disposent d’un compte bancaire, tandis que le taux de pénétration des téléphones portables dans la région atteignait les 61 % en 2023.
La région subsaharienne est l’épicentre des paiements mobiles internationaux avec 835 millions de comptes enregistrés (soit près de la moitié du nombre de comptes total dans le monde), soit un montant de 2,5 milliards de dollars de transactions quotidiennes en 2023 selon le rapport de la GSMA sur l’état de l’industrie des paiements numériques. Cela représente une croissance de 19 % d’une année sur l’autre, ou de deux tiers de la valeur totale des transactions mondiales, souligne la GSMA. En parallèle, il faut noter que le nombre de comptes de portefeuilles numériques enregistrés dans le monde a atteint un total de 1,75 milliard en 2023, et que la valeur annuelle des transactions a augmenté de 14 % pour atteindre 1,4 billion de dollars.
Cet article est le premier épisode de notre nouvelle série Banking is Local, dans laquelle nous explorons le monde de la banque du point de vue des usagers comme des institutions financières. Tout au long de l’année, nous aborderons une large gamme de sujets, depuis les grandes tendances mondiales aux innovations régionales et spécifiques à certains pays.
L’importance des collaborations dans le domaine de l’argent mobile
Les opérateurs de téléphonie mobile tels que MTN (en Afrique du Sud) et Safaricom (au Kenya) sont des acteurs clés du secteur des services financiers numériques de la région, grâce notamment à leurs plateformes de paiements mobiles. Au Kenya par exemple, le service de paiements mobiles M-Pesa a généré 236 milliards de dollars de transactions en 2022, soit 38 % du chiffre d’affaires total de Safaricom. Les banques et les sociétés de la fintech collaborent de plus en plus étroitement pour améliorer la transparence des expériences numériques pour leurs utilisateurs. Autant de partenariats essentiels pour assurer la croissance à venir de l’écosystème des portefeuilles numériques.
Ainsi, pour le groupe KCB, sa collaboration avec SBS lui a permis d’élargir son offre de services numériques sur sa plateforme KCB Vooma au Kenya, dans le but de proposer des solutions de prêt, d’épargne et de paiement accessibles à un public plus large. « Grâce à ce partenariat, notre banque a été en mesure d’offrir des propositions de valeur différenciées portant sur les paiements, l’épargne, et les prêts sur les canaux numériques, dans le but de garantir aux clients une expérience bancaire transparente », a affirmé Paul Russo, directeur général de KCB Group.
Autre enjeu pour l’avenir, l’avènement de la technologie 5G qui devrait ouvrir la voie à des solutions de paiement innovantes et renforcer le rôle pivot des opérateurs de téléphonie mobile dans le secteur. Selon un rapport du Boston Consulting Group, les sociétés de paiements mobiles devront obtenir des licences bancaires en parallèle du développement de leurs gammes de services financiers. A un moment où le contexte réglementaire tend à favoriser la consolidation, ces licences peuvent cependant être difficiles à obtenir et les acteurs des paiements mobiles se tourneront vers les banques déjà existantes pour trouver le soutien nécessaire au développement de leurs nouveaux produits.
Toutes ces évolutions ont conduit à une augmentation du taux de partenariats entre les banques et les opérateurs de réseaux mobiles : selon le Boston Consulting Group, 62 % des sociétés de paiements mobiles offrent actuellement des crédits via mobiles en collaboration avec les banques. En outre, les données de la GSMA montrent que les fournisseurs de paiements mobiles en Afrique subsaharienne étaient connectés avec 29 banques en moyenne en 2023, contre 17 l’année précédente.

L’impact des portefeuilles numériques sur l’inclusion financière
L’essor de l’utilisation des portefeuilles numériques en Afrique subsaharienne est impressionnant. Il s’explique par les difficultés propres à la région. De nombreuses communautés du sous-continent ont été historiquement confrontées à des obstacles entravant leur accès aux services bancaires traditionnels, comme l’isolement géographique ou des facteurs économiques, sociaux et politiques. Cet état de fait les a amenées à recourir principalement aux transactions en espèces.
Le passage d’une gestion financière informelle à une gestion financière formelle a ouvert de nouvelles possibilités pour les personnes non bancarisées ou sous-bancarisées de la région. En leur donnant accès à un large éventail de services financiers modernes, cette transition leur a permis d’établir leur identité financière, et facilité l’accès aux salaires et aux aides gouvernementales par le biais de dépôts directs.
Les utilisateurs ont désormais recours aux services de paiements mobiles pour épargner, faire des demandes de microcrédits et d’assurances, ainsi que pour transférer de l’argent à l’échelle locale comme internationale. Selon le rapport de la GSMA sur l’état du secteur, la part des services de paiements mobiles offrant des possibilités d’épargne est passée de 39 % en 2022 à 44 % en 2023. Les services de micro-assurance sont eux aussi en plein essor, tandis que les données indiquent qu’en Afrique, les paiements mobiles favorisent davantage l’épargne des femmes que les autres services financiers.
« Au Sénégal, en 2021, seulement 6 % des femmes ont épargné en utilisant une banque traditionnelle ou un autre type de compte bancaire, quand près de quatre fois plus d’entre elles ont choisi les services de paiements mobiles pour épargner », indique GSMA dans son rapport. « Le Kenya, l’Ouganda et la Zambie ont connu des tendances similaires, et la part des femmes utilisant des comptes de paiements mobiles pour épargner y est généralement deux fois supérieure à celle des femmes utilisant des comptes bancaires ou d’autres comptes financiers. » Les portefeuilles numériques facilitent aussi l’envoi et la réception d’argent. Pour les familles dont les proches travaillent à l’étranger, il s’agit d’un service d’importance. En effet, selon les chiffres de la GSMA, les envois de fonds internationaux ont atteint la somme totale de 29 milliards de dollars en Afrique subsaharienne en 2023, soit une augmentation d’un tiers par rapport à 2022.

Les principaux acteurs du secteur des paiements numériques en Afrique
L’Afrique n’a pas seulement le plus fort taux d’adoption des paiements mobiles au monde : le continent compte également le plus grand nombre de services de paiements mobile, avec 156 entités, soit près de la moitié du total mondial qui s’élève à 310. Voici quelques-uns de ses principaux acteurs :
- Nigéria : OPay et Paga sont les principaux fournisseurs de services de portefeuilles numériques au Nigéria. Fondé en 2018, OPay compte environ 35 millions d’utilisateurs et permet d’effectuer des paiements par SMS ou via une application, ce qui le rend accessible à ceux qui n’ont pas de smartphone. Avec ses 19 millions d’utilisateurs, Paga se spécialise pour sa part dans les transferts d’argent à l’échelle locale et internationale, dans les paiements de factures et dans les retraits sans contact, et s’adapte aux pratiques locales de gestion des liquidités.
- Kenya : Lancé par Safaricom en 2007, M-Pesa est devenu le principal service de paiements mobiles en Afrique. M-Pesa met l’accent sur l’inclusion financière, et permet notamment aux personnes non bancarisés d’accéder à des services financiers essentiels tels que les paiements, l’épargne et les transferts d’argent.
- Tanzanie : Mixx by Yas (anciennement Tigo Pesa) a été lancé en 2019 et facilite les transferts d’argent au niveau national et dans toute l’Afrique de l’Est. Sa particularité : offrir aux utilisateurs des intérêts trimestriels sur les fonds déposés dans leurs portefeuilles numériques, leur permettant de gagner un revenu passif tout en gérant leurs transactions quotidiennes.
- Afrique du Sud : SnapScan est un portefeuille numérique largement répandu, qui se spécialise dans les paiements par QR code pour les transactions de proximité. Contrairement aux plateformes de paiements mobiles classiques, SnapScan a pour but d’intégrer les petites entreprises et les commerces informels dans l’économie numérique, afin de faciliter l’inclusion financière dans un marché dominé par l’argent liquide.
Un bel avenir pour l’inclusion financière et les portefeuilles numériques
Le marché africain des portefeuilles numériques va continuer à se développer, sous l’impulsion combinée de la forte pénétration de la téléphonie mobile, de l’innovation dans les services financiers numériques, et de la collaboration entre les sociétés de paiements mobiles et les banques. Les portefeuilles numériques sont essentiels, à la fois pour améliorer l’inclusion financière et pour favoriser une économie numérique dynamique sur le continent.
La croissance future de la région devrait être facilitée par l’arrivée de smartphones plus abordables, ainsi que par l’expansion des réseaux 4G et 5G. La transition vers les smartphones est tout particulièrement importante, car c’est elle qui permettra à un plus grand nombre de personnes de prendre part à l’économie numérique, en stimulant l’accès aux services financiers et en favorisant l’innovation dans les solutions de paiement sans contact et autres services de la fintech.
Alors que l’adoption de la 4G continue de s’étendre en Afrique, celle-ci devrait représenter 50 % du total des connexions d’ici 2030, selon un rapport de la GSMA sur l’économie mobile de l’Afrique subsaharienne en 2024. L’adoption de la 5G s’accélère elle aussi, et devrait contribuer à hauteur de 10 milliards de dollars à l’économie de la région d’ici la fin de la décennie, et peser pour 6 % de l’impact économique total de la téléphonie mobile, selon les données de la GSMA.
Il faut toutefois comprendre que si l’essor de l’utilisation des portefeuilles numériques en Afrique surpasse les tendances mondiales, c’est parce qu’il s’agit d’une réponse locale adaptée à des défis uniques. Des initiatives telles que M-Pesa montrent comment les entreprises de fintech et les opérateurs de téléphonie mobile personnalisent leurs services pour s’aligner sur les besoins spécifiques de différentes communautés. L’utilisation croissante des portefeuilles numériques, permise par des infrastructures mobiles solides, met en évidence la façon dont ces solutions de pointe favorisent l’inclusion financière tout en soutenant un développement économique plus large dans l’ensemble de la région.