La digitalisation du monde modifie en profondeur le marché des paiements et des échanges bancaires. Face par l’urgence d’innover, les banques centrales tentent de développer leurs propres monnaies. Un processus long et difficile.

A l’ère du virtuel et des cryptomonnaies, les acteurs traditionnels du système financier doivent se mettre à la page pour ne pas se laisser dépasser. Parmi les axes de recherches : les monnaies numériques développées par les banques centrales (MNBC). Il s’agit de monnaies fiduciaires, mais virtuelles, dont la valeur est assurée par les banques centrales qui les émettent. Pensées comme une alternative officielle aux cryptomonnaies, elles utilisent la même technologie blockchain mais s’appuient sur des réseaux privés, là où les cryptomonnaies, décentralisées, s’adossent à des réseaux publics.

A quoi serviraient-elles ? Leurs usages promettent d’être multiples. Ces MNBC permettraient de travailler au niveau national ou supranational et d’opérer des paiements transfrontaliers sans avoir à recourir à des monnaies différentes. Elles pourraient faciliter les transferts d’argents en éliminant les intermédiaires ; mettre à disposition un moyen d’échange rapide et bon marché ; améliorer les paiements et la liquidité. Et surtout, sécuriser les transactions financières impliquant des jetons numériques.

En offrant davantage de traçabilité, elles limiteraient le blanchiment d’argent tout en offrant plus de protection du consommateur, de sécurité et de recours. Dans les économies émergentes, elles favoriseraient l’inclusion financière. Selon les estimations de JP Morgan, ces monnaies pourraient même permettre aux banques d’économiser 100 milliards de coûts de transaction. Dans la transition vers une société cashless, les banques centrales doivent donc s’emparer du sujet plutôt que de laisser le champ libre aux grands groupes de la tech.

Les premiers balbutiements de ces monnaies ont déjà une dizaine d’années, mais un tournant est en train de s’enclencher. On estime que 140 millions de Chinois utilisent déjà le Yuan numérique. La banque centrale du Nigeria a récemment lancé le eNaira et le Pérou, le Chili et l’Inde ont tous entamé des recherches. Les Etats-Unis souhaitent jouer un rôle important dans l’élaboration de régulations internationales, quand la BCE est en phase d’enquête pour développer un euro digital « qui ne remplacerait pas le liquide, mais agirait en complément ».

140 millions de Chinois utilisent déjà le Yuan numérique

Il reste cependant certains éléments à clarifier pour pouvoir implémenter efficacement les MNBC. Les éléments constitutifs de ces monnaies, les questions de frappe et de rachat, les modalités de conversion et les opérations de change doivent être étudiés, définis et faire l’objet de règles strictes. Il s’agit également de redéfinir le rôle et les responsabilités des banques centrales, des banques commerciales et des prestataires de services dans cette refonte des échanges. Enfin, reste le problème de la cybersécurité, de la confidentialité et de la protection des données.

Certains s’agacent donc de la lenteur du développement de ces monnaie. En effet, celle de la Banque d’Angleterre ne sera pas prête avant 2025 et l’UE s’est bien gardée de donner un calendrier de réalisation. Ces délais qui soulèvent une autre question : à quel besoin vital répondent-elles vraiment ? Quelle que soit la réponse, une seule chose est sûre : les MNBC sont là pour rester, et changeront en profondeur l’industrie des services financiers.

Philippe Serafin

Digital Innovation Manager

Sopra Banking Software